Deux paires de bretelles (Édouard BRISEBARRE - Eugène NYON)

Comédie-vaudeville en deux actes.

Représentée pour la première fois, à Paris, sur le Théâtre de Folies-Dramatiques, le 3 février 1844.

 

Personnages

 

TAILLEFER, ancien militaire, 55 ans

HERMINIE, sa femme, 25 ans

CÉSAR L’AUXERROIS, 29 ans

LOUISE MOSCOU, blanchisseuse, 24 ans

ADOLPHE, 28 ans

UN COCHER

PAYSANS, etc.

 

 

ACTE I

 

À droite de l’acteur, avenues d’arbres à tous les plans ; à gauche de l’acteur, premier plan, avenue boisée ; maison de campagne, second plan, avec fenêtre au premier étage sur un balcon praticable ; le devant de la maison est tapissé jusqu’au balcon de plantes grimpantes, formant avec quelques petits arbres en plantation à peu de distance une sorte de bosquet ombragé devant lequel est un banc de pierre. Avenues d’arbres aux autres plans. Au fond, site campagnard ; aspect de fête champêtre ; jeux divers, baraques de marchands.

 

 

Scène première

 

TAILLEFER, HERMINIE, CÉSAR, LOUISE, PAYSANS

 

Au lever du rideau, Taillefer se tient assis à l’extrémité droite, du côté de la tourelle, avec Herminie. César essaie la force de son poing. Louise tire des macarons. Les paysans jouent à la boule au fond.

ENSEMBLE.

Air de Mayeux.

Prenons, selon nos vœux,
En ce jour heureux,
Part à tous les jeux.
Nombreux.
Allons, jeunes et vieux,
Soyons tous joyeux,
Puisque c’est fête en ces lieux.

LOUISE, faisant tourner l’aiguille.

Rouge !... Gagné !... encore une douzaine...

Elle croque des macarons.

TAILLEFER.

Herminie, ma femme, si nous rentrions au château... je suis fatigué de me reposer.

HERMINIE.

Tout à l’heure, Monsieur... Laissez-moi donc prendre l’air.

CÉSAR.

Cent cinquante livres !... quel renfoncement ! Un coup de poing de charcutier... Regarde donc, Louise.

LOUISE.

Je n’ai pas le temps, je suis occupée.

TAILLEFER.

Maintenant, l’avez-vous assez pris, l’air, Mme Taillefer ?... Vous êtes donc insatiable !...

CÉSAR.

Louise Moscou, retenez-vous à l’endroit des massepains... vous les avalez sans les mâcher.

LOUISE.

V’là grand’chose ! je n’en suis qu’à ma sixième douzaine !

César et Louise remontent au fond.

TAILLEFER.

Herminie, vous regardez ce paysan...

HERMINIE.

Ce joueur de boule...

TAILLEFER.

Qui en a une fort agréable.

HERMINIE.

Vous êtes fou, Monsieur... Votre jalousie vous rend insupportable !

TAILLEFER.

Mme Taillefer !... Madame mon épouse !

HERMINIE.

Après trois mois de mariage... m’enfermer dans votre maison de Villetaneuse... m’épier ! surveiller toutes mes démarches !... ne pas me laisser un moment seule !

TAILLEFER.

J’en ai le droit, ce me semble.

HERMINIE.

Qu’avez-vous à me reprocher ?

TAILLEFER.

Rien jusqu’à présent, c’est vrai... mais j’ai la puce à l’oreille, Madame, depuis que nous rencontrâmes ensemble ce jeune homme qui nous tira son chapeau sur le boulevard des Filles-du-Calvaire... Qu’est-ce que ce muscadin ! ce fat ! ce gant-paille ?

HERMINIE.

Pour la centième fois, Monsieur, c’est un parent... c’est le cousin de la cousine de ma cousine.

TAILLEFER.

Oh ! c’est un parent très éloigné... Pourvu qu’il ne se rapproche pas... Vous regardez encore ce paysan, Herminie... Aurait-il pris ce déguisement rustique, ce gant-paille ?

HERMINIE.

Oh ! il n’y a pas moyen de vivre avec vous.

TAILLEFER.

Que si... que si... Allons, ventrebleu ! rentrons, Madame... cette foire me fatigue... j’en ai assez... Votre bras, chérie.

HERMINIE.

Tenez, vous mériteriez !...

TAILLEFER.

Quoi donc, s’il vous plaît ?

HERMINIE.

D’être battu !...

À part.

Oh ! je ressortirai, ne fût-ce que pour le faire enrager !...

Taillefer l’emmène à grands pas par le premier plan ; les paysans, les marchands et les joueurs disparaissent peu à peu.

Reprise de l’ENSEMBLE.

Prenons, etc.

 

 

Scène II

 

CÉSAR, LOUISE

 

CÉSAR.

Louise... allons, pas de bêtises !... rends-moi ma monnaie... Je t’ai confié cinq francs pour jouer à tous les coups l’on gagne.

LOUISE.

 La v’là, votre monnaie... Trois sous... dont un de Monaco.

CÉSAR.

Tu as acheté 4 fr. 85 cent. de macarons !... Et elle a tout englouti !...

LOUISE.

Je crois que ça m’a ouvert l’appétit... j’ai une faim de caniche... Oh ! je croquerais des pierres !...

CÉSAR.

Le macaron aurait-il la propriété de l’absinthe ?... J’en essaierai.

LOUISE.

Ne vas-tu pas marronner deux heures pour quelques malheureux macarons ; d’ailleurs, faut bien faire quelque chose à la campagne... faut s’occuper... Et puis, je suis ma maîtresse... je yeux faire mes volontés... Nous ne sommes pas encore mariés.

CÉSAR.

Oh ! non... oh ! non.

LOUISE.

Qu’est-ce que tu dis ?

CÉSAR.

Je dis... Oh ! non, que nous ne sommes pas encore mariés.

LOUISE.

Mais j’espère bien que ça ne tardera pas.

CÉSAR.

Espérons-le... espérons-le.

LOUISE.

Vos papiers de famille finiront peut-être bien par arriver... Depuis deux ans que vous les avez fait demander... Où ça donc, déjà ?...

CÉSAR.

À Madagascar, ma patrie... C’est plus loin que Romainville... Faut trois ans pour aller, et six pour revenir.

LOUISE.

Oh ! tenez, M. César, tout ça me fait l’effet d’être des contes à la Robert mon oncle... Est ce que par hasard vous ne me trouveriez pas assez huppée pour vous, hein ?... petit... Il me semble qu’une blanchisseuse en vaut bien une autre...

CÉSAR.

Deux autres même... quand elle repasse bien.

LOUISE.

Ne dirait-on pas que vous êtes le Pérou... ou le moutardier de la reine Pomarée, vous, César L’Auxerrois, le fils d’un ancien boucher !

CÉSAR.

Je ne nie pas mon origine... il m’en reste quelque chose.

LOUISE.

Oh ! oui.

CÉSAR.

Dix-huit cents livres de rente...

À part.

J’ai mille écus, mais je ne le lui dis pas.

LOUISE.

Mais avec ça... y a de quoi faire fortune !... J’achèterais le fonds de Madame... je m’établirais blanchisseuse pour mon compte... je te blanchirais gratis... je t’empèserais à l’œil... Tu serais heureux comme un petit poisson rouge dans l’eau.

CÉSAR.

Ça ne m’irait pas... je suis de la nature des chats.

LOUISE.

Oh ! oui... tu es de la nature des chats... tigre ! traître ! parjure !... Tu avoues donc que tu as abusé de mon innocence... de la candeur de mon jeune âge... tu avoues donc que tu n’as jamais eu l’intention de m’épouser !...

CÉSAR.

Mais si... mais si... Que tu es bête !... Tu sais bien que toutes les fois que tu me dis : César, m’épouseras-tu ? je te réponds toujours oui... Mais y a temps pour tout... Patience, ma bonne, un peu plus tard, dans une couple d’années... en 1864... Que diable ! je ne suis pas assez mûr pour l’hyménée... je n’ai que vingt-neuf ans, l’âge de la folie.

LOUISE.

Et il me donnait toujours des espérances.

CÉSAR.

Mais je t’en donne encore... je t’en donnerai toujours... Je ne suis pas avare, moi, tu le sais ben... Je t’amuse le plus que je peux... L’hiver, le spectacle... quand on me donne des billets sans droits... l’été, la promenade, les champs, tous les dimanches et fêtes reconnues... Tiens, encore aujourd’hui, ici, à Villetaneuse... tu désirais aller à la foire, je t’y ai amenée, à pied, pour pouvoir plus commodément admirer la campagne... Et puis, je te fais des cadeaux tous les ans, à ta fête... un bonnet ou des manchettes...

LOUISE.

C’est ta main que je veux.

Air : Bibi.

Souvent, vois-tu ? le dieu malin
Voltige de belles en belles,
Marions-nous, par ce moyen
On le fixe en coupant ses ailes.
Bonheur parfait pour un mari,
Plaisirs constants et sans rupture,
Bibi, bibi, mon César, mon chéri,
Soyons époux pour que ça dure.

CÉSAR, pendant la ritournelle.

Folle que tu es !...

À part.

Réponse du berger à la bergère.

Même air.

Souvent, vois-tu ? le dieu d’amour,
Que le célibat a fait naître,
Par la porte fuit un beau jour,
Quand l’hymen vient par la fenêtre.
Bonheur forcé pour un mari,
Mieux vaut s’aimer sans imposture,
Bibi, bibi, mon loulou, mon chéri,
Restons amans pour que ça dure.

LOUISE.

Trompeur, monstre ! canaille !...

CÉSAR.

Louise Moscou, vous avez la tête trop près du bonnet que je vous ai donné.

LOUISE, lui jetant son bonnet au nez.

Tiens, le v’là, ton bonnet.

CÉSAR.

Aïe !... sur le nez, dans le gras.

LOUISE.

Tiens v’là les cigarettes que je t’ai chipées !

CÉSAR.

Ah ! c’est comme ça !... Eh bien ! tiens ! v’là ton mouchoir de poche que tu m’as prêté... celui d’une de tes pratiques.

LOUISE.

V’là encore trois macarons... que je n’ai fait qu’entamer. César. Tiens ! v’là les bretelles que tu m’as brodées pour ma fête, la saint César... patron des empereurs romains.

Il les lui rend.

LOUISE, à part, en les mettant dans sa poche.

Broder des bretelles pour toi... pus souvent ! 7 fr. 50 !... à la Fille d’honneur.

CÉSAR.

Et maintenant... N... ni... c’est terminé, il n’y a plus rien de commun entre nous.

LOUISE.

Je ne te saluerai même pas !

CÉSAR.

Bonsoir !

LOUISE.

Bonne nuit !...

Elle lui tourne le dos.

CÉSAR.

Si je pouvais en être débarrassé comme ça !... c’est si bon à planter là, une inclination de deux ans !

LOUISE.

Il va se traîner à mes pieds, le lâche !

CÉSAR.

J’ai peur qu’elle ne me ressaute au cou... Décampons !... Oh ! mon pantalon !...

Il sort vivement.

 

 

Scène III

 

LOUISE, seule

 

Eh bien ! il ne me dit rien... Laissez-moi, César... Non, Monsieur, non... c’est fini... Vous avez beau me prier, c’est comme si vous chantiez : Je me brûle l’œil au fond d’un puits. Je veux m’établir, devenir une femme comme les autres... Je ne pardonnerai qu’à mon époux.

Se retournant.

Ah ! il a pris la poudre d’escampette... saltimbanque ! Il me plante là... à Villetaneuse... quatre lieues de Paris... sans bonnet, sans dîner... et sans argent pour prendre un coucou, un bifteck et mon café... Oh ! j’ai les yeux qui me picotent, des fourmis dans les mains et des lézards dans les jambes... J’ai envie de courir après lui pour le mettre en marmelade... Fi donc !... Louise Moscou, ma fille, n’agis pas comme le petit peuple.

Air : Faut l’oublier.

N’y pensons plus, il m’a trahite !
Il s’est conduit comme un gamin !
Plus de nopces, ni plus d’hymen !
À ses serments il fait faillite.
Plus d’amoureux, c’est le dernier !
Quel beau sort eût été le nôtre !
Que faire, hélas ! pour l’oublier ?
Je vais bien vite en prendre un autre,
Pour l’oublier !
Faut l’oublier.

Un louche, un gris, un bancal, un rouge... le premier chien coiffé... Dans ce moment-ci... ça m’est égal... pourvu que César me voie à son bras, qu’il en jaunisse de jalousie, qu’il en maigrisse de rage !... Moi qui l’aimais tant !... Il aurait été si heureux en ménage avec moi !

ADOLPHE, en dehors, fredonnant.

Ô Mathilde idole de mon âme !

LOUISE.

Quel est ce fausset ?... Que vois-je ?... gants blancs, bottes vernies, cigare à quatre, non à cinq... et toute la barbe... C’est un lion qui sort de la forêt !... Et je suis toute fripée !...

Elle se rajuste.

 

 

Scène IV

 

LOUISE, ADOLPHE, venant par la gauche

 

ADOLPHE.

Idole de mon a... a... â... â... me !

À lui-même.

Décidément, ce maudit portier de Paris s’est moqué de moi... Herminie n’habite pas ce séjour champêtre... J’ai eu beau demander, personne ne la connaît à Villetaneuse... Aujourd’hui surtout, jour de fête, j’aurais dû la rencontrer à la foire, se promenant sentimentalement avec Monsieur son mari... Oh ! les femmes !... inconstantes, infidèles, perfides !... toutes !... Nous ne les trompons pas assez.

Il la lorgne.

LOUISE, le lorgnant.

Ah ! le bel homme !... quelle mousse !... et un verre à l’œil !...

ADOLPHE, de même.

Une femme !... jolie et seule... Voyons donc s’il y a quelque chose à faire... Je vais lui demander l’adresse d’Herminie...

Haut.

Mademoiselle...

LOUISE.

Passez votre chemin, Monsieur.

ADOLPHE.

Oh ! oh ! c’est une vertu n° 4...

Haut.

Pardon, Mademoiselle, je voulais vous demander...

LOUISE.

Je ne cause pas avec les gens que je ne connais pas... je n’ai pas été élevée à ça.

ADOLPHE.

Voilà qui est gênant pour faire connaissance. Au reste, Mademoiselle, rassurez-vous... je suis désolé de vous avoir importunée, et ne vous importunerai pas davantage... J’ai bien l’honneur de vous saluer...

À part.

J’ai en horreur les bégueules !...

Il s’éloigne en fredonnant.

Rachel, quand du Seigneur...

LOUISE.

Tiens ! je connais cet air-là... que vous chantez...

ADOLPHE.

Hein !...

LOUISE.

Il me semble que j’ai entendu ça à la Gaîté.

ADOLPHE, à part.

Tiens, tiens, tiens, tiens... nous nous humanisons donc !...

Haut.

Non, Mademoiselle, non, ça se chante aux Français.

LOUISE.

C’est juste, Rachel c’est aux Français.

ADOLPHE.

Mademoiselle habite-t-elle ce pays ?

LOUISE.

Non, Monsieur, non... j’y perche momentanément... Monsieur cherche quelqu’un ?

ADOLPHE.

Oh ! une femme.

LOUISE.

Une femme ?

ADOLPHE.

Une femme fidèle, constante, dévouée ! qui tienne ses serments, qui aime mieux cent fois la mort plutôt que d’épouser un autre que celui auquel elle a promis sa main... Oh ! croyez-moi, Mademoiselle, c’est presqu’impossible à rencontrer... c’est dans le genre de la pierre philosophale.

À part.

Je l’attendris.

LOUISE, à part.

Je vois où le bât te blesse, toi.

ADOLPHE.

Mais si je suis venu dans ce village avec l’espoir de la rencontrer... ce n’est pas par amour... c’est par ennui... par désœuvrement... que sais-je ?... pour la foudroyer par ma présence.

LOUISE, à part.

Connu !... Pauvre garçon ! il bisque.

ADOLPHE, à part.

Il n’y a rien qui intéresse les femmes comme un homme trompé.

Haut.

Mais, Dieu merci ! je l’ai déjà oubliée, elle... et sa dot.

LOUISE.

Ah ! elle avait...

ADOLPHE.

Quelques petites choses...

LOUISE, à part.

Comme César.

ADOLPHE.

Mais je vous parle là d’affaires qui n’ont aucun attrait pour vous...

LOUISE.

Allez toujours, jeune homme... les infortunés sont faits pour se comprendre... et votre aventure est faite pour aller avec la mienne.

ADOLPHE.

Quoi ? vous avez été...

LOUISE.

Plantée là pour reverdir... au beau milieu du bois, tout à l’heure.

ADOLPHE, à part.

À merveille !

LOUISE.

Mais je me consolerai.

ADOLPHE.

Parbleu ! je le suis bien déjà, moi.

LOUISE.

C’est vrai... vous chantiez là, tout à l’heure, comme un serin des Canaries.

ADOLPHE.

Vous pensez bien qu’à mon âge, avec mon rang, mon titre...

LOUISE.

Un rang... un titre... Monsieur s’intitule ?...

ADOLPHE.

Le vicomte de Saint-Genièvre.

LOUISE.

De Saint... Prenez donc la peine de passer à l’ombre... vous pourriez attraper un coup de soleil.

ADOLPHE, à part.

Elle est éblouie.

LOUISE, à part.

Un vicomte ! mazette !... Ne lui disons pas que je suis blanchisseuse... ça lui semblerait peut être trop sec.

ADOLPHE.

Madame appartient à la bourgeoisie ?

LOUISE.

Allons donc !... Je suis de théâtre... académie royale de Pékin... Première cantatrice.

ADOLPHE, à part.

Une prima dona chinoise... Offrons-lui une tasse de thé.

Haut.

Ma diva, permettez-moi de vous offrir...

LOUISE.

Un dîner ?... par exemple !...

ADOLPHE.

Hein ?

LOUISE.

N’insistez pas, Vicomte, n’insistez pas...

ADOLPHE.

Mais...

LOUISE.

Allons, j’accepte... puisque vous le voulez absolument...

Air de Julie.

Je consens que l’on me régale,
Mais c’est à la condition
Que nous aurons toujours de la morale
Et du champagne à discrétion.

ADOLPHE.

Ne craignez pas de trompeuses manœuvres ;
Tenez, faisons notre carte à loisir :
Pour le dessert, inscrivons... le plaisir,
Mettons la morale aux hors-d’œuvre.

LOUISE, à part.

Un vicomte... et du champagne !... Oh ! César, César ! si tu pouvais me voir dîner... Je mangerais le double, pour t’humilier.

ADOLPHE, à part.

C’est qu’il n’y a pas à dire... il faut se fendre !... Ah ! tiens, j’ai ma montre... Et puis, elle est très gentille, cette jeunesse...

Haut.

Daignez-vous accepter mon bras, ma toute charmante ?

LOUISE, à part.

Quel genre !... du musc ! du patchouli !

ADOLPHE.

Voyons !

LOUISE.

Je ne sais si je dois...

Tout-à-coup.

Y sommes-nous ?

ADOLPHE, regardant en dehors.

Ciel !

LOUISE, de même.

Sapristi !

Elle quitte son bras.

ADOLPHE.

Herminie !

LOUISE, à elle-même.

Mme Taillefer, ma pratique !... et j’ai sur le dos sa robe qu’elle m’a donnée à blanchir...

Vivement.

Attendez-moi ici... tout à l’heure... je vais revenir... J’ai une petite course à faire.

Elle sort.

ADOLPHE.

Très bien, très bien !

À lui-même.

Herminie ici !... On ne m’avait donc pas trompé !

 

 

Scène V

 

ADOLPHE, HERMINIE

 

HERMINIE.

Je vais aller exprès jusqu’au bout du village... Ah ! M. Taillefer, vous voulez me séquestrer !... Que vois-je ?... Vous ici, Monsieur ?

ADOLPHE.

Oui, Herminie... car j’ai voulu savoir le mo tif de la lettre fatale qui m’a chassé.

HERMINIE.

Ce n’est pas à moi à vous donner des explications, Monsieur... allez les demander à mon tuteur, qui a pris des informations sur votre compte... et qui s’est décidé à me marier à un autre.

ADOLPHE.

Mariée !... vous !... Je n’osais le croire.

HERMINIE.

Oui, Monsieur... mariée... à un honnête homme que j’estime...

ADOLPHE.

Et que vous n’aimez pas.

HERMINIE, reculant d’un pas.

Mes sentiments m’appartiennent, Monsieur, et je n’en dois compte à personne... Mon époux, au moins, n’est pas un mauvais sujet... perdu de dettes... et d’une existence douteuse.

ADOLPHE.

Ah ! voilà donc le résultat de ces informations !... des mensonges, des calomnies ! Je m’en doutais... Moi, dont la position est si connue, dont la fortune est si claire... D’ailleurs, votre tuteur ne pouvait pas me souffrir... Vous le savez : ces anciens marchands, ils ont tous en horreur ceux qui ont des bottes vernies et du linge blanc ! Oh ! cette vengeance est d’une lâcheté !

HERMINIE.

Mais mon tuteur m’a assuré...

ADOLPHE.

Il vous a trompée, Herminie.

HERMINIE, faisant un pas en avant.

Pourquoi alors n’être pas venu vous expliquer avec lui ? vous justifier auprès de moi, quand vous avez reçu cette lettre qui vous congédiait ?

ADOLPHE.

Eh ! le pouvais-je, Herminie ? Souffrant, fatigué de travaux trop laborieux, elle ne m’est parvenue, cette lettre, qu’à la maison de santé, où j’étais enchaîné du côté de la rue de Clichy, un peu avant la barrière.

HERMINIE.

Mon Dieu ! serait-ce vrai, tout cela ?

ADOLPHE.

Vous le demandez !... Elle doute de moi !... Ah ! c’est affreux, cela !... Moi, qui vous aimais tant, Herminie !... que dis-je ? qui vous aime encore !...

HERMINIE.

Assez, Monsieur, assez !... Je ne dois... je ne peux pas en entendre davantage.

ADOLPHE, avec intention.

Je me tairai, Madame, je souffrirai... mais je me tairai et je m’éloignerai, sans même emporter de vous un regard de pitié, une parole de consolation... un souvenir qui m’était promis... autrefois... que vous aviez brodé de votre jolie main...

Mouvement d’Herminie.

Oh ! je ne le demande plus, Madame ; il appartient à présent à votre mari, sans doute ?

HERMINIE.

Non... oh ! non... je... je ne l’ai pas donné.

ADOLPHE.

Vous l’avez gardé... pour moi ?... Serait-il vrai ?... Ces bretelles orange et feu... que votre jolie main touchait jadis, chaque soir, chez votre tuteur... Il me semble que je les vois encore... je les reconnaîtrais entre mille... et vous les avez toujours... Oh ! donnez-moi ces bretelles, Herminie !... Si vous saviez comme je les attends avec impatience... J’y pense chaque ma tin en m’habillant, et je me dis : Quand viendront-elles, ces bretelles si chères qui remplaceront les miennes avec tant d’avantage... car elles viendront de vous !

HERMINIE.

Taisez-vous, Adolphe... taisez-vous !... Je sens que je fais mal... que je ne devrais pas... Mais je vous vois si désolé, si malheureux, que...

ADOLPHE.

Eh bien ?

HERMINIE.

Vous les aurez... je vous les enverrai.

ADOLPHE, vivement.

Chez ma sœur... dont vous savez l’adresse... rue de l’Homme-Armé.

HERMINIE.

Oui, oui... elles sont ici, cachées dans mon boudoir... et dès demain...

ADOLPHE, lui baisant la main.

Ah ! Herminie !...

HERMINIE.

Adolphe, de grâce, finissez...

ADOLPHE.

Un mot encore, Herminie... J’ai besoin de vous voir... j’ai tant de choses à vous dire !... Un instant, rien qu’un seul !

HERMINIE.

Jamais, Monsieur, jamais... Mon mari est si jaloux...

ADOLPHE, à part.

Diable !

TAILLEFER, en dehors.

Herminie ! Herminie !...

HERMINIE.

C’est lui !

Air : Un homme pour faire un tableau.

Ciel ! je l’entends, il m’épiait.
Malgré moi, je sens que je tremble,
Car tous les deux il nous tuerait,
S’il nous trouvait causant ensemble.

ADOLPHE.

Mais il est donc, en ses accès,
Jaloux comme une bête fauve ?

HERMINIE.

Quoi vous fuyez ?

ADOLPHE.

Moi ? du tout ! C’est
Pour vous sauver que je me sauve.

Il sort vivement.

 

 

Scène VI

 

HERMINIE, seule

 

Généreux Adolphe !... il ne veut même pas être aperçu à mes côtés... l’ombre d’un soupçon, il me l’évite... il le craint... Noble cœur ! brave jeune homme !... Et je suis la femme d’un autre... Ô mon tuteur, vous avez fait le malheur de toute ma vie !...

 

 

Scène VII

 

HERMINIE, TAILLEFER, entrant par le premier plan à droite

 

TAILLEFER, tenant une lettre qu’il froisse entre ses doigts.

Sortie !... encore ! malgré mes ordres !... Herminie ! Herminie !... Ah ! la voilà... Pourquoi êtes-vous redescendue malgré ma défense, Herminie ?...

HERMINIE.

Faut-il donc vous demander la permission d’aller et de venir, comme si j’étais une petite fille ?

TAILLEFER.

Il le faut...

Mouvement d’Herminie.

Oui, Madame, voici l’ordre et la marche.

HERMINIE.

Oh ! tenez, Monsieur... vous êtes un monstre de despotisme ! il n’y a pas votre semblable !... Je suis révoltée d’une tyrannie pareille ! je m’en lasse, à la fin, et il faudra bien que ça finisse !...

TAILLEFER.

Vous avez raison, Mme Taillefer ; cette vie-là ne peut pas durer, maugrebleu !

HERMINIE.

Votre odieuse jalousie sans motif...

TAILLEFER.

Oh ! oh ! Madame, balte-là ! mordieu ! Sans motif, dites-vous ? Maintenant, j’en ai à revendre.

HERMINIE.

Mais, voyons, parlez, quels sont-ils ?... Allez-vous encore recommencer, comme ce matin ?... C’est à propos de ce jeune homme qui nous a salués dernièrement sur les boulevards, n’est-ce pas ?... Ne vous ai-je pas déjà dit qui c’était ?

TAILLEFER.

Je le sais, Madame.

HERMINIE, à part.

Ô ciel ! il connaîtrait Adolphe !

TAILLEFER.

C’est probablement le même qui s’est présenté hier soir, à Paris, chez mon portier, et quia osé prendre des renseignements sur vous.

HERMINIE.

Sur moi ?... C’est impossible !

À part.

Imprudent Adolphe !

TAILLEFER.

Eh bien ! interrogez mon portier vous-même... il est là, dans la cuisine, où je l’ai fait rafraîchir.

HERMINIE.

Comment, il est venu de Paris pour vous apprendre ?...

TAILLEFER.

Oui, Madame.

HERMINIE.

Mais c’est un espionnage infâme !

TAILLEFER.

Ta ta ta !... Et pour m’apporter aussi une lettre de Giboulot.

HERMINIE.

Qu’est-ce que c’est que cela, Giboulot ?

TAILLEFER.

Mon ancien sergent-major qui se mettrait en quatre pour son vieux capitaine, et que j’ai lancé en tirailleur à votre endroit, Madame.

HERMINIE.

Vous avez osé...

TAILLEFER.

Chercher quelques petits renseignements sur vos antécédents.

HERMINIE.

Monsieur !...

TAILLEFER.

Et je les ai dans cette lettre, Madame ; car Giboulot, d’après sa consigne, s’est mis en campagne ; if a déterré l’ancienne domestique de votre tuteur, Mlle Rose, que l’on renvoya avant que je fusse reçu chez vous comme un pré tendu... C’est concevable, on craignait les bavardages.

HERMINIE.

Monsieur !...

TAILLEFER.

Giboulot a sondé adroitement cette fille, et il a appris d’elle...

HERMINIE.

Mais quoi donc, Monsieur ? Parlerez-vous, à la fin, et m’épargnerez-vous vos insultes ?...

TAILLEFER.

Giboulot a appris... Madame... qu’avant que le capitaine Taillefer vous fit sa cour... un jeune homme, un godelureau... un pékin vous avait rendu des assiduités...

HERMINIE.

Eh ! Monsieur, je ne cherche pas à le nier.

TAILLEFER.

Pourquoi m’en a-t-on fait un mystère ?

HERMINIE.

Pourquoi mon tuteur vous aurait-il instruit des projets d’un mariage qu’il a jugé ne devoir pas être convenable pour moi ?

TAILLEFER.

Parce qu’il a craint de me faire soupçonner que vous aimiez ce jeune homme... et vous l’aimiez, Madame, comme la prunelle de vos yeux...

HERMINIE.

Ah ! c’en est trop !

TAILLEFER.

Vous lui aviez même brodé une paire de bretelles... en soie très plate... Giboulot me le marque, Rose le lui a dit... Ah ! vous voyez que je sais tout... Où sont ces bretelles, Madame ? Si vous ne les avez pas données à ce jeune homme ou à votre tuteur, vous devez les avoir... elles sont à Paris ou ici, dans votre boudoir, peut-être... Vous les lui réservez, sans doute... à ce bourgeois... Oh ! vingt-cinq mille cinq cents bombes !... Voyons, Madame, répondrez-vous ? Ces bretelles ?...

HERMINIE, à part.

Et moi qui viens de les promettre à Adolphe.

TAILLEFER.

Ces bretelles ?...

HERMINIE.

Je ne sais pas ce que vous voulez me dire...

TAILLEFER.

Où allez-vous, Madame ?

HERMINIE.

Je me retire chez moi, Monsieur ; vous n’êtes pas en état de causer raisonnablement.

Elle salue et sort.

 

 

Scène VIII

 

TAILLEFER, seul

 

Ah ça ! mais, elle me traite comme un conscrit... elle défile la parade sans demander la permission à son colonel... Elle rentre chez elle, dans son boudoir... sans doute.

Air : Vadé à la Grenouillère.

Maudit boudoir, où chaque jour,
Me fuyant, elle se retire,
Pour s’enfermer à double tour.
Quand, par hasard, je veux lui dire
Le moindre petit mot pour rire,
Sur l’honneur, je suis chatouilleux.
Il faudra bien que tu t’expliques
Quand nous serons entre deux yeux,
Pour ces bretelles, moi, je veux
Des réponses moins élastiques.

Mais il faudra bien qu’elle m’ouvre son boudoir, ou je le prends d’assaut ! j’en fais le siège, ventrebleu !... En avant, marchons !...

Il bouscule César, qui entre.

Prenez donc garde, imbécile ! Je te couperai les oreilles, moi ! Maladroit !

Il sort.

 

 

Scène IX

 

CÉSAR, seul

 

Vous ne me couperez rien du tout, entendez-vous ?... Il a bien fait de filer... je l’aurais châtié... Non, je n’aime pas les drôles. Sac à papier ! comme c’est gênant d’être sans bretelles ! Tout le monde était là à me regarder à la foire... On avait l’air de se dire : Mais qu’est-ce donc qu’il a, ce Monsieur, à tenir comme ça son pantalon ?... Ça a peut-être donné une mauvaise idée de moi... Si je pouvais en trouver une paire dans des prix doux...

Bruit dans le pavillon. Mme Taillefer paraît sur le balcon, en proie à une vive émotion, jette une bretelle qui tombe sur la tête de César, puis disparaît.

Oh ! là, là ! ça m’a singlé !... Qu’est-ce que c’est que cela ?... Une bretelle !... Il pleuvrait des bretelles ?...

Il la met.

Charmante contrée !... C’est qu’elle me va... Quel dommage qu’il n’y en ait qu’une !

Cherchant.

D’où diable ça a-t-il pu venir ?... Ah ! cette fenêtre ouverte... Eh ! là-haut, dites-donc, pendant que vous y êtes, l’autre, s’il vous plaît... l’autre... envoyez-moi la paire, au moins.

Il court vers un tertre et y monte.

 

 

Scène X

 

TAILLEFER, CÉSAR

 

TAILLEFER, une bretelle à la main, entrant vive ment par la porte à droite.

J’en étais sûr, morbleu !... Les bretelles accusatrices étaient dans son boudoir... Je frappe, on ne répond pas, j’enfonce la porte au moment où elle ouvrait la fenêtre... je me précipite sur l’épouse coupable et troublée, et je saisis une preuve à la volée... Mais j’aurai l’autre... elle a dû tomber par ici...

Regardant.

Où peut-elle être ?

CÉSAR, criant.

L’autre, s’il vous plaît ?

TAILLEFER, l’apercevant.

Un homme ? celui qui rôdait par ici tout à l’heure... et il en a ramassé une et il demande l’autre... Je devine tout... cette fenêtre ouverte, ces bretelles jetées... il les attendait... c’est lui qui a pris des renseignements sur Herminie, qui devait l’épouser.

Haut.

Monsieur !

CÉSAR, impatienté.

Je ne peux rien vous faire, mon brave homme...

Criant.

L’autre, s’il vous plaît ?

TAILLEFER, lui présentant la bretelle.

La voici, Monsieur.

CÉSAR, l’arrachant.

Tiens... tiens... on vous avait donc chargé de me la remettre ?... Merci, mon cher monsieur. C’est une femme, n’est-ce pas ? ça doit en être une... Sexe toujours bienfaisant... va...

TAILLEFER.

Comme il ruse.

CÉSAR.

Retournez auprès d’elle... dites-lui que je l’adore... que je l’idolâtre... que je les porterai toujours sur mon cœur... en signe d’amour... allez ! je vous paierai un petit verre de dur, ou plutôt... non... je vais moi-même lui dire un petit bonjour... Annoncez-moi. Passez devant, montrez-moi le chemin.

TAILLEFER.

Vos armes, Monsieur... vos armes !

CÉSAR.

Mes quoi ?...

TAILLEFER.

Vos armes ! Entendez-vous le français ?...

CÉSAR.

Certainement, mais vos paroles sont pour mode l’hébreu.

TAILLEFER.

Choisissez... bancal... épée... pistolet.

CÉSAR, vivement.

Un duel !... Est-ce que ce serait un duel ?

TAILLEFER.

À mort !

CÉSAR.

À mort ? volontiers.

Air : Turenne.

Ex-artilleur dans la milice urbaine,
Je ne peux pas me laisser humilier,
Sans balancer je me rends à Vincennes
Pour préparer ce combat singulier,
Oui, nous aurons un combat singulier.
Ah ! vous verrez comment César canonne,
Car je choisis pour arme le canon ;
Pour mes témoins je veux la garnison,
Et pour terrain le polygone.

On tirera à deux lieues et demie l’un de l’autre jusqu’à extinction de chaleur naturelle, je vais chercher une pièce de 36.

Il veut sortir.

TAILLEFER, le retenant.

Ah ! tu ne m’échapperas pas... entends-tu, je te tuerai...

CÉSAR.

Pourquoi... mais pourquoi ?... buveur de sang... car je ne vous connais pas, moi... à la fin...

TAILLEFER.

Je suis son mari !

CÉSAR.

Ah ! vous êtes son mari... de qui ?

TAILLEFER.

Le mari de la femme que tu aimes.

CÉSAR, stupéfait.

Bah !

À lui-même.

Est-ce que Louise m’au rait caché ?... Comment Louise était mariée, et...

Haut et lui prenant la main.

Consolez-vous, nous avons rompu... vrai !

TAILLEFER.

Vous avez... Mais tu l’as donc vue ? alors, tu lui as donc parlé ? tu étais donc auprès d’elle, tout à l’heure ?

CÉSAR.

Oui... nous nous disions un éternel adieu...

TAILLEFER.

Ventrebleu !... Et elle t’a donné un dernier souvenir... les bretelles ?...

CÉSAR.

Je les lui ai rendues...

TAILLEFER.

Mais tu les as sur ton dos...

CÉSAR.

Celles-ci ?...

TAILLEER.

Qui te viennent de ma femme...

CÉSAR.

Quelle femme ?

TAILLEFER.

Herminie, dont je suis le mari...

CÉSAR.

Ah ! vous avez épousé Verminie...

TAILLEFER.

Ta complice !

CÉSAR.

De quoi...

TAILLEFER.

Tu oses le demander... don Juan ?...

CÉSAR.

Mais je ne la connais pas du tout, moi, votre Verminie... je croyais que vous parliez de Louise... Louise Moscou... une connaissance à moi, Ah ! nous parlions de Verminie...

TAILLEFER.

Louise... Louise Moscou...

CÉSAR.

Avec qui que je suis venu... ici... à cause de la fête.

TAILLEFER.

Tu veux essayer de m’en faire accroire.

CÉSAR.

Ah ! quel satané entêté vous faites, vous, par exemple... Mais, tenez, la voilà, elle vient par ici... pour me chercher, j’en suis sûr.

TAILLEFER, à part.

Venir ici... à la campagne... avec une femme... il ne pensait donc pas à la mienne... et sa présence ici... ces bretelles... ce serait le hasard seul...

CÉSAR.

Elle va me sauter au cou, vous allez voir, je ne vous dis que ça.

Air : Voilà comme tout s’arrange.

C’est bien, je me tiens à l’écart.

CÉSAR, à part.

Voilà des souleurs sans pareilles.

TAILLEFER.

Si tu m’as trompé, mon gaillard,
Je te couperai les oreilles.
Prouve à l’instant ce que je veux,
Ou, sang-dieu ! nous irons nous battre.

CÉSAR, de même.

Par ce spadassin furieux,
Pour ne pas être mis en deux.

Taillefer se cache.

Près d’elle il faut me mettre en quatre.

 

 

Scène X

 

LOUISE, TAILLEFER, CÉSAR

 

CÉSAR.

Heureusement, je ne suis pas inquiet, malgré notre petite brouille... Je sais bien comment la séduire... Louise !

LOUISE.

Où peut donc être cet étourdi de vicomte... j’ai eu beau chercher... rechercheras-tu... Ah ! que je suis bête... il est peut-être allé commander le dîner... à la Tête-Rouge... au gargot de l’endroit... Je vas voir, car j’ai des crampes dans le creux de l’estomac.

CÉSAR, assis à droite, écrivant sur son calepin.

Ah ! te voilà... je t’attendais en faisant la carte de notre dîner.

LOUISE, vivement.

Not’ dîner !...

À part.

Oh ! Louise ! ma fille, pas de faiblesse : il mérite une leçon.

CÉSAR.

Écoute... je vais te la lire.

À part.

Séduisons-la.

Haut.

Côtelettes aux cornichons... Tu les aimes, les cornichons.

LOUISE, le regardant.

Je suis brouillée avec eux.

CÉSAR.

Filet aux olives... buisson d’écrevisses... salade de mâches.

LOUISE, à part.

Quel dîner succulent !

CÉSAR, de même.

Omelette soufflée pour trois.

ADOLPHE, en dehors.

Idole de mon â... â... â... â... me.

LOUISE.

Le vicomte... il me cherche aussi...

CÉSAR, se levant.

Et des cerises à l’eau-de-vie pour dessert.

LOUISE.

Ça me décide !... Ah ! ça, mais dites-moi donc un peu pour qui me prenez-vous donc, s’il vous plaît, Monsieur ?...

CÉSAR.

Tu as dit...

LOUISE.

Je vous prie de ne pas vous permettre de me tutoyer...

CÉSAR.

Ah bah !

LOUISE.

Est-ce que j’ai l’air de chercher un dîner, par hasard ?

CÉSAR.

Je ne dis pas ça, mais...

LOUISE.

Je n’ai pas l’habitude d’accepter même un bouillon de quelqu’un qui m’est étranger...

CÉSAR.

Un étranger, moi...

TAILLEFER.

Ah ! ah !

CÉSAR.

Mais, Louise...

LOUISE.

Voulez-vous bien me laisser tranquille. Est-ce que je vous connais.

CÉSAR.

Écoute-moi.

LOUISE.

Je n’ai pas le temps... je suis pressée... je dîne en ville... chez le vicomte de Saint-Genièvre.

CÉSAR.

Un Hollandais ! quelle compagnie !

LOUISE, appelant.

Vicomte ! vicomte !... cet imbécile-là, avec ses histoires, est dans le cas de me l’avoir fait perdre.

Elle sort.

CÉSAR.

Chez un vicomte, elle qui est si gourmande... je suis vexé !...

TAILLEFER.

Je l’étais !...

 

 

Scène XI

 

CÉSAR, TAILLEFER, reparaissant

 

TAILLEFER.

Marchons, Monsieur !

CÉSAR, d’une voix faible.

Je ne peux pas, je n’ai plus de jambes...

TAILLEFER.

Ça m’est égal... Ah ! tu voulais me mettre dedans.

CÉSAR.

C’est moi qui y suis...

TAILLEFER.

Voyons, quelles sont tes armes ? ... As-tu réfléchi ?

CÉSAR.

Est-ce que j’ai pensé à ça !

TAILLEFER.

Tu veux donc que je t’assassine ?

CÉSAR.

Comme vous vous méprenez sur mes intentions !... Mais appelez donc votre femme, demandez-lui si elle me connaît... vous verrez bien... nous ne nous sommes jamais vus ni l’un ni l’autre...

TAILLEFER.

Oh ! oh ! je connais ces charges-là, ce n’est pas à un vieux lapin comme moi...

CÉSAR.

Eh bien ! alors, qu’est-ce que vous voulez, hein ?... que je vous prouve que j’ai une amourette. hein ?... que j’en ai 2, 3, 4, qui vous diront ce que je suis... ce que j’ai fait... que je n’ai pas pu passer mon temps auprès d’elles et auprès de votre femme... car, à moins de se doubler...

TAILLEFER.

Mais tu ne pourras jamais me persuader...

CÉSAR.

Mais si... si... quand vous voudrez, et, mon Dieu... si celle de tout à l’heure n’a pas voulu me reconnaître, je ne sais pourquoi, heureusement, on en a d’autres, des connaissances... mais pas à Villetaneuse... à Paris... Venez m’y trouver demain, place Maubert, 4, au-dessus de l’entresol.

TAILLEFER.

Eh bien ! j’accepte...

CÉSAR.

À demain !

TAILLEFER.

Du tout, à l’instant ; je ne te quitte pas ; et si tu peux me démontrer tes inclinations...

CÉSAR.

Ça va... allez vous brosser un peu... je vous attends...

TAILLEFER.

Je suis très bien ainsi, n’espère pas me filer dans la main, je te suis comme ton ombre.

VOIX, au dehors.

Péris ! Péris !

TAILLEFER.

Bon... une voiture qui retourne dans la capitale...

Criant.

Cocher ! cocher !

CÉSAR.

Comment vais-je me tirer de là ? je ne connais que Louise, qui ne me connaît plus.

Entrée des paysans.

TAILLEFER.

Suis-moi...

CÉSAR.

Mais c’est un coucou... je n’aime pas ces voitures-là...

TAILLEFER.

Ni moi non plus, morbleu !

LE COCHER.

Péris ! là, mon bourgeois !...

TAILLEFER.

Je te donne dix francs pour nous mener à Paris... Emballe-moi cet homme-là.

César résiste ; le cocher l’empoigne d’un côté, Taillefer de l’autre et l’entraînent.

CÉSAR.

Vous allez me déchirer !... laissez-moi, ma redingote est mûre !...

 

 

Scène XII

 

CÉSAR, TAILLEFER, HERMINIE, LOUISE, ADOLPHE, PAYSANS

 

Tout le monde arrive de tous côtés.

CHŒUR.

Air de Mayeux.

Allons, que chacun s’élance
Et donne le joyeux signal !
Formons la contredanse
Qui doit ouvrir le bal.

UN MÉNÉTRIER, montant sur un tertre.

En place pour la contredanse.

Orchestre.

UN MARCHAND DE MACARONS.

À tous les coups l’on gagne.

UN MARCHAND.

Essayez vos forces là, Messieurs...

LOUISE.

Scélérat de César, il est cause que j’ai perdu mon vicomte.

UN PAYSAN, invitant Louise.

Mademoiselle !

LOUISE.

Ça me va, Monsieur...

À part.

Tuons le temps.

ADOLPHE, entrant.

Puisque j’ai perdu ma cantatrice... pinçons-en une autre.

Il invite une paysanne à danser. Tout le monde se place.

LOUISE, dansant en face d’Adolphe.

Mon vicomte !

ADOLPHE, de même.

Ma diva !

LOUISE.

Et ce dîner ?

ADOLPHE, dansant.

Après la contredanse... Avez-vous faim ?

LOUISE, de même.

À mort !

TAILLEFER, en dehors.

En route, fouette cocher !

On entend le coucou s’éloigner.

HERMINIE, paraissant en scène ; elle a son châle, son chapeau

Non, je ne resterai pas plus longtemps sous le toit d’un pareil homme ; s’élancer sur moi, me brutaliser... me frapper presque... Allons à Paris, chez mon tuteur.

TOUS.

Au galop !

Herminie sort. Le rideau baisse.

 

 

ACTE II

 

Le théâtre représente une chambre mansardée. Meubles rares et vieux. Au fond, porte principale donnant sur l’escalier. À droite, premier plan, porte de cabinet. À gauche, au deuxième plan, fenêtre ouvrant sur les toits. Au premier plan, du même côté, petit bureau avec pupitre.

 

 

Scène première

 

ADOLPHE, seul

 

Il est en robe de chambre, vieilles pantoufles. Il tient une lettre et referme sa porte.

Merci, père chose... De qui diable peut être cette lettre ? À Mlle Martin, rue de l’Homme Armé, 7 ter. Mlle Martin... c’est moi... je suis ma sœur... que je n’ai jamais eue... ça m’évite d’abord d’être de la gare nationale... Chose assez estimable... et puis il y a aussi la question anglaise, qui est bien de quelque importance... J’ai en horreur ces insulaires, moi... Aux yeux du monde le vicomte de Saint-Genièvre loge quartier de la Madeleine, maison neuve, pas de n° ; voilà mon adresse, et personne ne se doute de celle d’Adolphe Martin...

Il a ouvert la lettre.

Que vois-je ? l’écriture d’Herminie !

Lisant.

« Je suis à Paris, chez mon tuteur... je viendrai ce matin chez vous... Signé Herminie. » J’y suis... elle croit venir ici chez ma sœur.

Il jette la lettre dans le petit pupitre.

Elle a donc quitté son ogre de mari... Diantre ! si elle vient ici... elle découvre le trépas de ma sœur et l’existence de ma débine... Adieu mes idées amoroso... Il n’y a rien qui effraie les femmes comme

Fredonnant.

un instant de gêne... un instant de peine.

Parlant.

Courons l’attendre à la porte de son bonhomme de tuteur, et empêchons la de gravir mes tours Notre-Dame... Vite, faisons quelques pouces de toilette.

S’arrêtant.

Ah ! sandis, pas de chemise blanche ! Je me dis toujours que j’ai tort de n’en avoir que trois... ce n’est pas assez... faudra décidément que je me monte en linge... j’en achèterai une de plus... et voyez un peu si cette satanée blanchisseuse viendra... c’est pourtant aujourd’hui son jour.

Air : Madame Favart.

Elle n’est pas encor venue,
Cela finit par m’ennuyer.
Ah ! vraiment, si ça continue,
Il me faudra la renvoyer.
Mes chemises ne sont pas prêtes,
Ne soyons pas ingrat, pourtant :
Je lui dus beaucoup de conquêtes,
Et je lui dois beaucoup d’argent.

Commençant sa toilette, et courant çà et là.

Voyons donc si avec une cravate longue et un gilet croisé... Bah ! j’aurai l’air de revenir du bain.

Fredonnant.

Ô Mathilde ! idole de mon âââme.

Chantant.

...Où est donc mon pantalon à la cosaque... Ah ! le voilà... avec les bretelles... les bretelles de la cantatrice chinoise... que j’ai trouvées dans sa poche en badinant... Ah ! ah ! ah ! elles étaient peut-être destinées à quelque magot... et elle ira me les demander... quartier de la Madeleine... maison neuve, pas de n°. Cherche ma bonne, cherche.

On frappe.

Qui est là ?

LOUISE, en dehors.

La blanchisseuse !

ADOLPHE.

Ah ! enfin ce n’est pas malheureux ! Entrez et attendez dans le salon... Je vais passer quelque chose, je suis vêtu en matin.

Il entre dans le cabinet.

LOUISE, entrant.

Ça, un salon ? ça ressemble à la loge de mon portier...

Déposant son panier.

Aïe... brigand de panier... j’en ai mal à la saignée... C’est-il embêtant que cette petite bécasse de porteuse se soit foulée la rotule... me v’là obligée de reporter le linge, moi... une des premières demoiselles... Je parie qu’elle aura trop gigotée hier à la Chaumière ou à Mabille...

Tirant le linge du panier.

Enfin je fais la dernière pratique... deux chemises... dont une et demie de mauvaise... en v’là un qui ne se roule pas dans la guipure ! Ô Saint-Genièvre, c’est pas toi qui aurais si peu de linge que ça...

ADOLPHE, dans le cabinet.

Ô Mathilde... idole de mon â... â... â... me.

LOUISE, stupéfaite.

Ah ! mon Dieu ! quelle est cette voix de ténor enrhumé...

 

 

Scène II

 

LOUISE, ADOLPHE

 

ADOLPHE.

De mon â... â... â... â... me.

LOUISE.

Mon vicomte !

ADOLPHE.

Ma cantatrice !

LOUISE.

Dans ce taudis !

ADOLPHE.

Avec ce panier !

LOUISE.

C’est un rafalé.

ADOLPHE.

C’est une blanchisseuse !

LOUISE.

Et je croyais qu’il avait des armes !

ADOLPHE.

Et moi un do de poitrine... Ah ! votre conduite est bien basse.

LOUISE.

Et j’ai mangé son dîner...

ADOLPHE.

Et moi, je l’ai payé !... je me suis compromis avec une femme qui repasse des cols.

LOUISE.

Et moi avec un homme qui en fait... qui n’est pas plus vicomte que ma pantoufle, qui s’appelle Martin, comme l’ours du Jardin des plantes... et qui se donne un nom de distillateur hollandais... Saint-Genièvre...

ADOLPHE.

C’est un nom qui appartient à ma famille... c’est celui de l’arrière-grand’mère de mon grand père.

LOUISE.

Et où est la montre dont vous m’avez parlé ?

ADOLPHE.

Au restaurant où nous avons dîné hier ; je l’ai laissée pour régler.

LOUISE.

Et le remise à deux quadrupèdes ?

ADOLPHE.

Sur les boulevards... ligne de la Bastille.

LOUISE.

Et j’ai avalé ces calembredaines-là...

ADOLPHE.

Vraiment !

LOUISE.

Comme c’est drôle... tenez-vous donc les côtes... Dieu ! que vous riez bêtement, mon cher, mais vous ne le porterez pas en paradis... Vous saurez ce que c’est que de s’attaquer à Louise Moscou... Vous pouvez quitter votre tailleur, allez, je me charge de vous habiller !...

ADOLPHE.

Que voulez-vous dire ?

LOUISE.

Que vous allez perdre un peu de votre gomme, bibi... que dirai à tout le monde ce que vous êtes... que je dévoilerai votre conduite et votre linge.

ADOLPHE, à part.

La malheureuse, elle ruinerait à jamais mon crédit !

Haut.

Arrêtez... je ne suis pas chez moi...

LOUISE.

Bah ! ce local médiocre...

ADOLPHE, cherchant ses mots.

Est la retraite... le pied-à-terre... la petite maison d’un ami... assez gaillard de sa nature.

LOUISE, moqueuse.

Votre parole...

ADOLPHE.

Et comme il est à la campagne, il m’a prié de venir de temps en temps pour prendre soin de son mobilier...

LOUISE, de même.

Il en vaut la peine, quelle perte ça serait s’il s’abîmait.

ADOLPHE.

Ça serait cruel !

LOUISE.

Air : Mon père était pot.

Mais ces chemises que voici.

ADOLPHE.

Allons, parlez, ma chère.

LOUISE.

À qui sont-elles ?

ADOLPHE.

Mon ami
En est propriétaire.

LOUISE.

À lui tout cela !
Quoi ce beau bien-là
N’a donc pas d’autres maîtres
C’est, en vérité,
Un’ propriété
Avec portes et fenêtres.

Allons, recevez le linge pour votre luron d’ami. v’là le livre.

ADOLPHE.

Voyons le livre... Deux chemises d’homme.

LOUISE.

Il y a une manche qu’est restée au blanchissage.

ADOLPHE.

Ah ! faudra tâcher de me la ravoir.

LOUISE.

On n’a jamais pu.

ADOLPHE.

Une paire de chaussettes, dont un bas... un mouchoir de poche.

LOUISE, le dépliant, tout troué.

De perse !

ADOLPHE.

Est-il possible d’arranger le linge comme ça... mon Dieu, on dirait d’une écumoire.

LOUISE, ricanant.

Un gilet de flanelle... Il met donc des gilets de flanelle, votre ami, comme les vieux.

ADOLPHE, furieux.

Il met ce qu’il veut ! Est-ce que cela vous regarde ?

LOUISE.

Ça... et l’arriéré... ça fait quinze francs dix sous à me donner.

ADOLPHE, feignant de n’avoir pas entendu.

Car ça ne vous regarde pas, ma chère...

LOUISE.

Quinze francs cinquante.

ADOLPHE.

Ah ! oui... pardon... Nous disons donc quinze francs cinquante... Diantre ! je n’ai que de l’or et un billet de cinq en fait de monnaie.

Tout à coup.

Oh ! un instant, il manque un faux col...

LOUISE.

Tiens, c’est vrai.

ADOLPHE.

Je ne paierai pas avant d’avoir le faux col de mon ami.

LOUISE.

Ne criez pas tant, on va vous le rapporter... mais préparez vos noyaux.

ADOLPHE.

Vous trouverez votre argent sur le bureau... je vais l’y mettre... car je n’y sera pas... je vais au club, j’ai affaire, il faut que je sorte...

LOUISE.

Pas de ça, Lisette.

ADOLPHE.

Tenez, voici une clé... comme j’en ai une autre... En descendant, vous la remettrez dans l’allée, chez le pâtissier qui sert de portier...

LOUISE, la prenant.

C’est bien ; n’oubliez pas mes quinze francs cinquante, vicomte.

ADOLPHE.

Ni vous le faux col, cantatrice.

LOUISE, riant au nez d’Adolphe.

Ah ! ah ? ah !

ADOLPHE, id.

Ah ! ah ! ah !

Ensemble.

Air de Mayeux.

LOUISE.

Oui, je pars ; mais je veux.
Trouver, selon mes vœux,
Tout mon argent prêt en ces lieux,
Ou je fais tout à l’heure un éclat scandaleux.

ADOLPHE.

Sortez, car je le veux.
Bientôt, selon vos vœux,
Vous trouverez prêt en ces lieux
Votre argent. Pas de bruit, pas d’éclat scandaleux.

ADOLPHE.

Adieu, blanchisseuse.

LOUISE, sortant.

À revoir, panné !

 

 

Scène III

 

ADOLPHE, seul

 

Découvert... pincé... traqué dans mon antre... par cette grisette dont la langue peut détruire ma position sociale... Oh ! comme je donnerais congé... si je ne devais pas six termes... si je ne détestais pas les déménagements... et puis je suis fou de mon petit appartement... Bah ! cette fille ne pense déjà plus à moi... c’est certain... Allons, vite, vite... Et Herminie... faisons ma toilette... il ne faut pas que je me fasse encore happer par celle-là...

Il entre dans le cabinet en emportant son linge.

 

 

Scène IV

 

CÉSAR, seul

 

Il arrive par la fenêtre et sauté dans la chambre.

Ouf ! il était temps... la gouttière craquait... Cherche, capitaine, cherche : je crois que je t’ai un peu jobardé, mon vieux brave... depuis hier soir que nous avons quitté le coucou, je te trimballe dans la citadine 1335... à la recherche des victimes des passions que je n’ai pas encore allumées... du Panthéon à la Bastille... des Bons-Hommes à Vincennes, et vice vissa... Échauffé par cette condamnation à la voiture forcée, j’éprouve le besoin de me rafraîchir, en te plantant un peu là, pour reverdir... j’avise une allée d’une entière noirceur... Eh ! cocher, c’est là... arrêtez-nous... Oui, capitaine, oui, capitaine, oui, c’est ici que demeure une de mes malheureuses, Zizi Patriarche, enlumineuse de gravures gracieuses... suivez... Et zest ! sans lui donner le temps de pousser un soupir... je me précipite dans l’allée sans y voir goutte... au risque de me fracturer... mon chapeau... je grimpe comme un chat jusqu’à des lieux élevés... mais ne me souciant pas de rester là, je découvre une tabatière... j’en use fort à propos, ma foi et de toits en toits j’arrive dans ce réduit... Orientons-nous. Je dois être au moins à trois maisons... de longitude de mon débris de l’empire... qui est encore en train de se cogner le nez, en me criant : Eh jeune homme ! Tu ne l’auras pas ton jeune homme, mais je te laisse le cocher de fiacre... et sa guimbarde à payer, 14 heures dont six de nuit...

Riant.

Eh ! eh ! papa Latulipe, ça va écorner ta pension de retraite... Ouf ! c’est égal... je suis en sueur, ô Louis Moscou ! c’est pourtant elle qui est cause de tout ce qui m’est arrivé... car, si elle ne m’avait pas renié, si elle ne m’avait pas quitté... Mon malheur a commencé depuis la retraite de Moscou...

Regardant autour de lui.

Ah ! ça mais, où suis-je, ici ?... chez une femme peut-être...

Regardant sur la table.

une pipe culottée... c’est une Allemande ou une étudiante.

Prenant un livre.

L’Art d’élever les lapins, et de s’en faire trente mille livres de rente...

 

 

Scène V

 

CÉSAR, ADOLPHE

 

ADOLPHE, sortant du cabinet.

Ah ! me voilà à peu près présentable...

Apercevant César.

Un homme chez moi !

CÉSAR, à lui-même.

Le propriétaire de l’objet culotté...

ADOLPHE, vivement.

Qui êtes-vous ? que demandez-vous ?

CÉSAR.

Chut ! chut ! je ne suis pas un fripon, parole sacrée... je suis poursuivi, et je demande l’hospitalité...

ADOLPHE.

Mais par où êtes-vous entré ?

CÉSAR, montrant la fenêtre.

Par là...Tenez, comme ça... ce n’est pas commode, allez...

ADOLPHE.

Vous êtes entré par la fenêtre ?

CÉSAR.

J’ai eu cet honneur... Vous voyez devant vous, Monsieur, un infortuné victime de l’amour...

ADOLPHE.

Vous m’intéressez...

CÉSAR, lui serrant la main.

Ah ! Monsieur, imaginez-vous qu’une femme, éprise sans doute de mes petits avantages !... et

S’interrompant.

et il y a des gens qui désirent la beauté...

Amèrement.

fatal présent...

Continuant.

me jette, l’inconséquente !... un gage d’amour... sur la tête... des bretelles.

ADOLPHE.

Vraiment ?

CÉSAR.

Au risque de m’éborgner... Puis, patatras !... voilà le mari qui me prend à la gorge et qui veut m’occire... J’ai beau lui dire : Mais je ne connais pas madame, je ne l’ai jamais vue... ce n’est pas ma faute si elle à du goût pour moi... Il veut que je lui prouve que j’ai une inclination autre que sa moitié.

ADOLPHE.

Et vous lui avez présenté votre objet ?

CÉSAR.

Rien du tout, je m’étais brouillé avec lui... j’étais sans objet, mon cher Alfred... Vous ne vous appelez peut-être pas Alfred ?

ADOLPHE.

Non, Adolphe.

CÉSAR.

Enfin, c’est égal... Il me fourre en voiture, mon cher Alfred, et nous y passons la nuit blanche... à la recherche d’une femme fantastique... Heureusement j’ai trouvé le moyen de lâcher mon croquemitaine à la porte d’une mai son voisine, j’ai grimpé jusqu’ici, et je suis arrivé dans vos lares pour chercher un port sous votre toit.

ADOLPHE.

Il est à votre service, mon cher monsieur, disposez de mon logis, ouvert à tout galant homme...

CÉSAR.

Merci... ô merci ! vous viendrez déjeuner un matin chez moi, vous, je ne vous dis que ça...

ADOLPHE.

Tenez, voilà ma robe de chambre, ne vous gênez pas, fourrez-vous-y... Voici des livres, une pipe... faites comme chez vous.

CÉSAR.

Pratique-t-il l’hospitalité !... mais il n’est pas possible, vous êtes Écossais...

ADOLPHE.

Pas tout-à-fait, je suis de Corbeil...

CÉSAR.

Eh ! eh ça approche...

ADOLPHE.

Pardonnez si je sors... mais une course indispensable...

CÉSAR.

Comment donc... mais faites donc vos affaires, mon bon.

ADOLPHE, fausse sortie.

À propos, il viendra une jeune fille m’apporter un faux col ; vous le recevrez, n’est-ce pas ?

CÉSAR.

En chevalier français.

ADOLPHE.

Mais j’y pense... vous qui êtes libre.

CÉSAR.

Oh ! mon ami, ne craignez rien... je suis dans une disposition d’esprit à ne pas chercher à plaisanter.

ADOLPHE.

Vous n’y êtes pas... si votre cauchemar de mari vous retrouvait par hasard... et puisqu’il suffit de lui présenter une inclination, eh bien ! lancez-vous... allez... il y a moyen...

CÉSAR.

Bah ! vraiment ? ah ! farceur... veux-tu t’en aller, farceur.

ADOLPHE, à part.

S’il pouvait, en poursuivant la blanchisseuse, m’en débarrasser et l’empêcher de penser à me nuire...

Ensemble.

Air : Amour à l’aveuglette.

CÉSAR.

Pour moi, plus rien à redouter,
Puisqu’en ces lieux je peux rester ;
Plus de frayeur et plus d’émoi,
Je suis ici comme chez moi.

ADOLPHE.

Pour vous, plus rien à redouter,
En ces lieux vous pouvez rester ;
Plus de frayeur ni plus d’émoi.
Vous voici le maître chez moi.

ADOLPHE.

Lancez-vous, il y a moyen.

CÉSAR, le poussant.

Satané farceur... ne dis pas de ces choses-là. Alfred ! je t’en prie... Ne dis pas de ces choses là.

Adolphe sort par la porte du fond qu’il ferme.

 

 

Scène VI

 

CÉSAR, seul

 

Il est très gai ce garçon-là... avec son : Il y a moyen... Il paraît que c’est un amateur... Moi aussi, je le suis, eh ! eh !

Il met la robe de chambre.

Air : De la Fornarina.

Trala la la la la la
Je peux fredonner cela
Trala la la la la la
En sûreté me voilà :
Ce grenier me cachera.
Sous cette twine-là.
Je me sens mieux déjà.
Narguant le vampire
Dont, je crois, je me trouve loin,
Maintenant je respire
Ah ! j’en avais besoin.
J’enfonce la vieille garde,
En bas, elle droguera.
Et gai tout comme un vieux barde,
Capitaine Mustapha.
Je te fais la
Nique de là,
En chantant e refrain de la Fornarina
Trala la,
etc.
Comme Tantale.
J’éprouve la fringale ;
Si j’avais un beefsteak
Ou même du pain sec.
Ah ! que ne suis-je même à l’officine
Des sieurs Deffieux, Passoir, Olivari !
Je sens aussi le sommeil qui me mine,
Faute de mieux, prenons notre parti,
Puisqu’on dit
Qui dort dîne,
Voyons cette cuisine,
Demandons à Morphée un peu de veau rôti.
Trala la la la la la
Faute de mieux, prenons ça,
Trala la la la la la.
Mon appétit passera
Lorsque le sommeil viendra ;
Bientôt il m’offrira
Potage et cætera.

Il s’étend dans le fauteuil et commence à s’endormir. On frappe.

On a frappé.

On frappe.

Est ce qu’on a frappé, hein ?

Il va ouvrir.

Entrez.

 

 

Scène VII

 

CÉSAR, HERMINIE

 

HERMINIE, tout-à-coup.

Ciel ! je me suis trompée... Excusez, ce n’est pas ici chez...

CÉSAR.

Pardonnez, Madame... pardonnez... je suis même chargé de vous recevoir...

À part.

Je parie que c est la jeunesse au faux col... où il y a moyen.

HERMINIE.

Mlle Martin n’aurait-elle pas reçu ma lettre, ou aurait-elle été annoncer à son frère ?...

Haut.

Mais où est-elle, Monsieur, où est-elle ?

CÉSAR, étonné.

Elle ? qui ça ?... hein ?

HERMINIE, vivement.

La personne qui occupe ce logement ; je l’avais priée de m’attendre.

CÉSAR.

Elle vous attend aussi, Madame... elle vient de sortir... Mais prenez donc la peine de vous asseoir...

Gaiement.

Asseyons-nous donc.

HERMINIE, agitée.

Non, Monsieur, non, merci, je reviendrai...

À part.

Je me suis trompée, bien sûr, et ce jeune homme est un mauvais plaisant...

Sèchement, haut.

J’espérais trouver ici Mlle Martin... On m’avait pourtant bien indiqué cette porte, et...

CÉSAR, très étonné.

Mlle Martin... la locataire d’ici !... Comment ! ce jeune homme qui m’a reçu était une demoiselle ?... Et je ne m’en suis pas douté !... Si !... un moment...

Soudainement.

Mais elle a de la barbe, Madame !

HERMINIE, contrariée.

Eh ! je ne sais pas, ce que vous voulez dire... Monsieur...

À part.

Je vais prendre de nouveaux renseignements... Quel est cet original ?...

Haut.

Je vous salue.

Elle sort par le fond.

CÉSAR.

Mais dites-moi donc un peu... vous êtes bien sûre que c’est une... C’est que ses moustaches sont très belles... Voilà un phénomène !

HERMINIE, très effarée.

Ah ! mon Dieu ! Monsieur !...

CÉSAR.

Hein ?... de quoi ?

HERMINIE.

Ayez pitié de moi ! cachez-moi, Monsieur, ou je suis perdue !

CÉSAR.

Ah bah !

HERMINIE.

Je vous expliquerai plus tard... mais cachez-moi vite !... Un cabinet ! une armoire ! un rideau !...

CÉSAR, cherchant.

Attendez un peu... c’est que je ne sais pas au juste... Où diable y a-t-il des cabinets ici ?... Jusqu’à présent, cela ne m’a été d’aucune utilité.

HERMINIE.

Mais dépêchez-vous donc !

CÉSAR.

Oui, oui... Je ne vois rien du tout, moi !

HERMINIE, à part.

Lui ! lui ! Mon mari, grands dieux !... Que vient-il faire ici ?...

Haut.

Oh ! mais, Monsieur, vous voulez donc ma mort ?

CÉSAR.

Moi ? aucunement !

HERMINIE.

Ah ! ce cabinet !...

Elle se précipite à droite et disparaît.

CÉSAR, étonné.

Disparue ! coffrée !... Ouf ! quelle souleur !

 

 

Scène VIII

 

TAILLEFER, CÉSAR

 

TAILLEFER, sur le pallier.

Ce doit être là.

CÉSAR, l’apercevant.

Mon capitaine !... Ah ! les jambes !...

Il tombe sur une chaise où est son chapeau qu’il a placé en entrant, et il l’écrase.

TAILLEFER.

Mon fugitif !...

CÉSAR, abasourdi.

Je viens de fabriquer un Gibus !

TAILLEFER.

Ah ! ah !... je vous trouve donc enfin, mon gaillard !... et en robe de chambre... chez vous !

CÉSAR, étonné.

Chez moi !

TAILLEFER.

Le pâtissier ne m’a donc pas trompé !

CÉSAR.

Quel pâtissier ?

TAILLEFER.

Celui de l’allée où vous vous êtes introduit pour me tirer aux jambes, malin !... Mais on vous avait vu dans l’escalier... à la fenêtre de cet appartement.

CÉSAR.

Fatalité !... Et j’ai été vendu par le... Si je t’achète jamais de la galette, à toi !

TAILLEFER.

Et voulant savoir au juste à quoi m’en tenir sur votre compte... je suis entré chez ce fabricant de nougat, et sous le prétexte frivole de croquer quelques tartes à la cerise et sept ou huit babas.

CÉSAR.

Vous n’en auriez pas un petit, par hasard ?

TAILLEFER.

Et tout en arrosant ces futilités de quelques doigts de vieux madère, j’ai poussé à votre sujet quelques bottes au pâtissier, et il m’a tout avoué.

CÉSAR, à part.

Ah bah !... Infâme pâtissier !...

Haut.

Quoi donc qu’il vous a avoué ?

TAILLEFER.

Que le locataire de ce belvédère est un farceur numéro un... un don Juan fini !... un abatteur de cœurs, qui incendie tout le quartier, une véritable allumette chimique... et, de plus, que ledit locataire habite très probablement avec une dame, sous le nom de laquelle est le local ici présent, luron !

Il lui tire amicalement les oreilles.

CÉSAR, à part.

Qu’est-ce qu’il me chante là, cette vieille panade !

TAILLEFER.

Mais pourquoi, enfant que vous êtes, ne m’a voir pas dit cela vous-même.

CÉSAR.

Mon Dieu ! je ne vous ai pas dit cela moi même, parce que... Voilà la seule raison.

TAILLEFER.

Je la comprends. Mais il vous était si facile de me prouver, par cet aveu, que vous n’aviez pas de relations avec la femme qui porte mon nom.

CÉSAR.

Mais je vous corne cela aux oreilles depuis hier, souvenez-vous-en !

TAILLEFER, riant.

Ah ! ah ! ah !... est-ce que c’était possible, au fait ; j’étais stupide !... Jamais Herminie n’aurait souffert...

Air : Ses yeux disaient le contraire.

Maris, de vos transports jaloux,
Ah ! soyez toujours économes.
Vous, son amant... Mais, entre nous,
Elle n’aime que les beaux hommes !

CÉSAR.

Vous m’étonnez... Eh bien ! et vous ?
Ah ! je comprends... fous que nous sommes,
Elle vous a pris pour époux,
Elle n’aime que les beaux hommes !

À part.

Sans aimer pour ça son époux,
On peut bien aimer les beaux hommes 

TAILLEFER.

Et j’ai été jaloux, emporté, violent !... J’ai tarabusté Herminie... Ah ! je n’oserai jamais reparaître devant elle, avant d’avoir obtenu mon pardon... C’est ça... et je lui rapporterai des gâteaux de chez Félix... Elle les aime, la friande ! Vite, donnez-moi une plume, de l’encre... je brûle de me laver !

CÉSAR.

Avec de l’encre ?... Vous avez cette habitude-là ?

TAILLEFER.

Je vous demande tout ce qu’il faut pour écrire.

CÉSAR.

Je devine... une plume, de l’encre, du papier.

TAILLEFER.

Voyons, où mettez-vous tout cela ?

CÉSAR.

Ah ! voilà... Où diable met-il tout cela ?

TAILLEFER.

Hein ?

CÉSAR.

Mets-je ! mets-je !

TAILLEFER, vivement.

Ah ! dans ce petit pupitre, sans doute...

Il va au bureau, lève le pupitre, trouve la lettre d’Herminie, déposée par Adolphe à la première scène.

Ah !...

CÉSAR.

Vous avez trouvé ?

TAILLEFER, se levant.

Ah !

CÉSAR, content.

Il a trouvé.

TAILLEFER, d’une voix étouffée.

Une lettre d’Herminie !

CÉSAR.

Une lettre de Verminie !

TAILLEFER.

De ma femme !

CÉSAR, riant.

De votre... Ah ! la bonne charge !

TAILLEFER, lisant.

« Je suis à Paris, chez mon tuteur...Je viendrai ce matin chez vous. Signé HERMINIE. »

Il lui met la lettre sous le nez.

CÉSAR.

Quelle belle anglaise !... Elle n’écrit pas mal, Madame, savez-vous ?

TAILLEFER, furieux.

Ah ! elle se rendra chez vous ?

CÉSAR, soudainement.

Hein ? plaît-il ? chez moi !... Un instant, mais je ne suis pas chez moi, capitaine.

TAILLEFER.

Vous me l’avez avoué tout à l’heure.

CÉSAR.

Je me suis trompé, parole !... c’est un lapsus langué. Cette lettre n’est pas pour moi... Ah ! regardez plutôt l’adresse, colonel.

TAILLEFER, regardant.

Elle est venue sous enveloppe...

D’un air féroce.

Ta vie ou la mienne !

CÉSAR, tremblant.

La vôtre ! la vôtre !... Vrai, je vous juré que je n’y suis pour rien, que je n’attends pas du tout mame votre épouse, général.

TAILLEFER.

Trêve de sornettes, pékin !

CÉSAR, à part.

Oh !...

Haut.

Et la preuve !

TAILLEFER.

Quelle preuve ?

CÉSAR, à part.

Oui, c’est cela... la jeunesse qui est là, à côté... c’est la seule manière de m’en tirer... et puisque l’autre m’a dit qu’il y avait moyen...

TAILLEFER, furieux.

La preuve ! la preuve !

CÉSAR.

C’est que je dois passer la journée avec une jeune dame que j’adore... elle aussi, et qui doit venir ici.

TAILLEFER.

Contes en l’air !...

CÉSAR.

Et qui est là dans ce cabinet ?

TAILLEFER, réfléchissant.

Mais alors ce ne serait donc pas pour vous qu’Herminie...

CÉSAR, à demi-voix.

C’est pour un autre, mon pauvre capitaine.

TAILLEFER.

Quel labyrinthe !...

Soudainement.

Ah ! montrez-la-moi !

CÉSAR, voulant détourner la conversation.

Vous demandez si ma montre est à moi ?

TAILLEFER.

Cette femme qui est là, je veux la voir !

CÉSAR.

Diable ! dites donc... c’est que...

TAILLEFER.

Ah ! il voulait encore me tromper !

Furieux.

Montrez-la-moi !

CÉSAR, à part.

Ma foi ! puisqu’il n’y a pas moyen de faire autrement... et que l’autre m’a permis de me lancer... Et puis ça ne peut être qu’une farceuse !

TAILLEFER, hors de lui.

Me la montrerez-vous, morbleu ! votre dulcinée ?...

CÉSAR.

Oui, oui, je vais vous la montrer, morbleu ! ma dulcinée... Mais il ne faut pas l’effaroucher, major... Mettez-vous dans le coin, là...

Allant à la porte du fond, comme s’il reconduisait quelqu’un.

Adieu, Monsieur... Bonjour à Madame. Embrassez les petits pour moi.

TAILLEFER, blotti dans l’angle droit.

Je comprends sa contremarche.

CÉSAR, à part.

Je suis sauvé !...

Allant au cabinet.

Vous pouvez sortir...

Gaiement.

Nous pouvons sortir.

 

 

Scène IX

 

TAILLEFER, CÉSAR, HERMINIE

 

HERMINIE.

Enfin !

Elle lève son voile.

CÉSAR, à Taillefer.

La voilà... Comment la trouvez-vous, hein ?

HERMINIE et TAILLEFER, face à face.

Ah !...

CÉSAR, étonné.

Quoi donc ?

HERMINIE.

Lui !

TAILLEFER.

Elle !

CÉSAR, étonné.

Quoi donc ?

TAILLEFER.

Ah ! vingt-cinq mille millions !... voilà ce que je voulais, Madame... Je vous pince donc une fois sur le fait... flagrante delicto !

HERMINIE, indignée.

Monsieur, vous osez...

TAILLEFER, furieux.

Un commissaire, Madame ! des témoins patentés, Madame ! et une séparation éternelle, Madame !

CÉSAR, à Taillefer.

Quoi donc ?

TAILLEFER.

Et toi, misérable, tu ne périras que de ma main !

Ensemble.

CÉSAR, stupéfait.

Air du Ménage de Rigoletto.

Quelle aventure !
Quelle souleur !
Qui lui procure
Cette fureur ?

HERMINIE.

Quelle torture !
Fatale erreur !
Il fait injure
À mon honneur !

TAILLEFER.

Oh ! quelle injure !
Quel déshonneur !
Femme parjure,
Crains ma fureur !

Il sort et les enferme avec la clé restée dans la serrure, criant en dehors.

Vous ne vous échapperez pas !

 

 

Scène X

 

HERMINIE, CÉSAR

 

CÉSAR.

Quoi donc ? quoi donc ? quoi donc ?... Mais vous le connaissez donc cet énergumène ?

HERMINIE.

C’est mon mari !

CÉSAR.

Hein ? votre mar... le mari d’Herminie !... vous êtes Herminie !... Ah ! sarpejeu ! ma vie ne tient plus qu’à une toile d’araignée, et je lui ai de mandé comment il la trouvait !

HERMINIE.

Mais il me prend pour votre maîtresse, Monsieur ; vous ne me comprenez donc pas ?

CÉSAR.

Si, si... parfaitement... je suis au courant... et moi, il me prend pour votre amant, Madame !

HERMINIE.

Je suis perdue ! déshonorée !

CÉSAR.

Je suis un jeune homme fichu !

HERMINIE.

Et vous m’avez trahie ! livrée !

CÉSAR.

 Mais c’était pour me délivrer des pattes de ce rhinocéros-là !... Est-ce que je savais, moi !

HERMINIE.

Que faire ? mon Dieu ! que faire ?... car toutes les apparences sont contre moi !

CÉSAR, vivement.

Filons !...

Secouant la porte.

Ah ! nom d’un petit bonhomme !... la porte tient !... Il nous a enfermés avec la clé que l’autre a laissée dans la serrure, le vampire !

HERMINIE, hors d’elle-même.

Oh ! mais, Monsieur, trouvez donc un moyen de me sauver ! sautez par la fenêtre, et revenez m’ouvrir après.

CÉSAR.

Un sixième !... le moyen n’est pas bon.

Air du Château perdu.

Mais pour franchir l’espace qui sépare
Ce pigeonnier du bas de l’entresol,
Il me faudrait les deux ailes d’Icare,
Ou les jarrets du petit Auriol.
Du clown l’Éclair donnez-moi la prestesse,
Ou la vigueur de Jocko-Mazurier,
De la Saqui donnez-moi la souplesse,
Ou le ballon du papa Montgolfier.

Avec effroi.

On farfouille à la porte !

HERMINIE, tombant sur un siège.

Déjà !

CÉSAR, se blottissant dans le fauteuil.

Déjà !

HERMINIE, éperdue.

C’est mon mari qui revient... Ah ! je n’aurai pas la force de supporter sa présence... je redoute plus que jamais sa jalousie, sa violence !... Ah !

Elle s’élance dans le cabinet et en referme la porte.

par pitié, empêchez-le de pénétrer jusqu’à moi !

CÉSAR, essayant d’entrer aussi.

Oui, empêchons-le de pénétrer jusqu’à nous. Ouvrez donc, faites-moi une petite place... je ne serai pas gros, allez.

 

 

Scène XI

 

LOUISE, CÉSAR, HERMINIE, cachée

 

CÉSAR, le dos tourné.

Le voilà !... Ah !

Tremblant.

on ne m’entrerait pas un grain de tabac dans le nez.

LOUISE, qui a fermé doucement la porte du font.

Tiens ! il est encore ici, mon gentilhomme !

CÉSAR.

Je suis sûr qu’il me couche en jouc, cet affreux troupier !

LOUISE, le prenant pour Adolphe.

Vicomte, v’là le faux col à votre ami. Où sont mes 15 fr. 50 ? N’y a pas à dire, faut me payer, je reviens pour ça.

CÉSAR.

Un faux col ! un vicomte... de 15 fr. 50 !

Se retournant.

Une femme !... Ah ! c’est la jeunesse au il y a moyen... v’là mon affaire...

Lui prenant la taille et un baiser.

Enlevé ! hé ! hé !

LOUISE, lui donnant un soumet.

Touché ! hé ! hé !

CÉSAR, surpris.

Louise !

LOUISE, de même.

César !

HERMINIE, entr’ouvrant la porte du cabinet.

Une femme !...

La reconnaissant.

Ma blanchisseuse !

CÉSAR.

Elle ! c’est bien elle !... avec le faux col !...

Soudainement.

Ah ! Louise ! Louise ! vous m’avez... vous avez agi bien platement avec le grand brun, l’homme aux moustaches retroussées... en chat en colère.

HERMINIE, à part.

Qu’entends-je ?... Il veut parler d’Adolphe !

LOUISE.

Le vicomte ! il vous aurait dit... C’est des mensonges !

CÉSAR.

Le vicomte !... Ah ! celui d’hier, à Villetaneuse.

LOUISE.

Nous n’avons pris qu’un potage ensemble, entendez-vous bien !

CÉSAR.

Sans compter le dessert et les radis.

HERMINIE, à part.

Dîner avec une blanchisseuse !... Et moi qui croyais à son affection !

CÉSAR.

Tiens ! tu ne m’es plus de rien !... pas grand comme ça !... Tiens ! j’ai peu de considération pour toi... laisse-moi tranquille !... va-t’en, décampe !

LOUISE.

Je m’en irai, si je veux, entendez-vous... Ne dirait-on pas que vous êtes ici chez vous...

Tout-à-coup.

Ah ! mon Dieu ! et il est en robe de chambre !... Et l’autre qui m’a assuré qu’un de ses amis... C’est donc vrai !...

Lui pinçant l’oreille.

Ah ! tu as des petites maisons, toi !

CÉSAR.

Hein ? je finirai par y aller, aux petites maisons, si ça continue.

LOUISE.

Ah ! tu faisais ici tes farces... avec des particulières légères et vagabondes.

CÉSAR.

Moi ?... Foi de César...

LOUISE.

Ne jure pas, parjure !... Je connais ton nom de guerre... Adolphe Martin.

HERMINIE, à part.

Le nom d’Adolphe !... Plus de doute, c’est encore lui qui... Ah ! quelle conduite !

CÉSAR, furieux.

Mais je vous prie de croire que si j’avais un sobriquet à prendre, je n’irais pas sur les brisées d’un des pensionnaires du Jardin du roi.

LOUISE.

Et depuis deux ans que je le connais, je ne me suis jamais doutée de ses noces et festins !

HERMINIE, à part.

Ô Adolphe ! Adolphe !... mon tuteur avait raison.

LOUISE, secouant César.

Mais justifie-toi donc, bandit !... Dis-moi au moins que tu ne m’as jamais fait de ces couleurs là, que tu n’es pas venu ici avec une femme ! Ah ! si je t’avais pincé avec un jupon, tu n’étais pas blanc !...

HERMINIE, avec effroi.

Ciel si cette femme !...

Elle disparaît et ferme avec bruit la porte du cabinet.

LOUISE, furieuse.

La porte de ce cabinet a remué !... Ah ! il y a quelqu’un ici... celle pour qui tu me trahis peut être... mais je la trouverai, je la verrai... je lui dirai... Ouvrez, Madame, je sais que vous êtes là !...

Elle tire le bouton de la porte.

CÉSAR.

Veux-tu bien ne pas toucher à ça ! pour qu’on me fasse payer encore la serrure !

Il essaie de lui faire quitter la porte.

Ensemble.

Air de mademoiselle Puget.

CÉSAR.

Pas tant de tapage,
De ravage
Ni de rage,
Malgré moi tu ne peux
Forcer le passage ;
Pas tant de tapage,
De ravage
Ni de rage.
N’entre pas, je le veux,
Souscris à mes vœux.

LOUISE.

Je fais du tapage,
Du ravage,
Car j’enrage ;
Malgré tout, oui, je veux,
Forcer le passage ;
Je fais du tapage,
Du ravage,
Car j’enrage,
Je verrai de mes yeux
L’objet de tes feux.

LOUISE.

J’entrerai ! je te dis que j’entrerai.

La porte cède, elle entre. César perd l’équilibre et tombe sur son séant.

CÉSAR.

Oh ! j’ai cassé le verre de ma montre !... mais je laisserai ma peau ici si ça continue...

Il se relève.

Personne ne me retient plus... la porte de ce logis est ouverte... capitaine, je vais te brûler la politesse.

Il se cogne avec Adolphe qui entre vivement.

 

 

Scène XII

 

CÉSAR, ADOLPE

 

ADOLPHE.

Oh !

CÉSAR.

Encore une torgnole...

Fausse sortie.

Adieu, mon cher, je suis pressé...

ADOLPHE.

Où courez-vous donc si fort !... où allez-vous ?

CÉSAR.

À Rouen... et si je manque le convoi...

À part.

Je suis sûr du mien...

ADOLPHE.

Un instant !... rendez-moi au moins ma robe de chambre...

Il ôte son habit.

CÉSAR, ôtant la robe de chambre.

Dépêchons... dépêchons, mon cher Alexandre !

ADOLPHE, à part.

Impossible de trouver Herminie, elle n’était plus chez son tuteur.

CÉSAR.

Voilà votre pelure, mon bon Gustave.

ADOLPHE.

Diable, vous avez là de bien belles bretelles !...

CÉSAR.

Sapristi !... moi je les trouve affreuses, mon cher Léon !... j’aime mieux les vôtres.

ADOLPHE.

Oh !

CÉSAR.

Ah !

ADOLPHE.

Orange et feu !

CÉSAR.

Pistache et vanille !

ADOLPHE.

Les bretelles qu’elle m’a promises !

CÉSAR.

Les bretelles qu’elle m’a données !

ADOLPHE.

Ça vient d’Herminie !

CÉSAR.

Ça vient de Louise !

ADOLPHE.

Je suis joué !...

CÉSAR.

Je suis mieux que ça !

ADOLPHE, très fort.

Misérable !

CÉSAR, très doucement.

Drôle !

ENSEMBLE.

Air du Loup dans la bergerie.

La colère m’enflamme,
Pour toi, jamais de pardon.
C’est affreux ! c’est infâme !
Il te faut une leçon.

ADOLPHE, à part.

Je le crois poltron.

Haut.

J’aurai ta vie !

CÉSAR, criant.

Tu n’auras pas la mienne !

 

 

Scène XIII

 

TAILLEFER, CÉSAR, ADOLPHE

 

TAILLEFER, entrant par le fond.

Non, car elle m’appartient.

CÉSAR et ADOLPHE.

Ah !

CÉSAR, abattu, et à part.

Le capitaine Machefer !... je comprends à présent la tête de Méduse à laquelle je n’ajoutais pas foi !

ADOLPHE, voulant entraîner César.

Sortons, Monsieur !

TAILLEFER, de même.

Avec moi !

ADOLPHE, de même.

Avec moi !

Reprise du chœur par tous les trois.

CÉSAR, prenant son parti.

Voyons... arrangez-vous... à qui le tour... là, Messieurs...

ADOLPHE.

Cet homme m’a gravement offensé... Ah ! tu ne méritais pas l’hospitalité que je t’ai offerte !...

TAILLEFER.

Comment ! Monsieur n’est pas chez lui ?

ADOLPHE.

Il est chez moi...

TAILLEFER, vivement.

Ah ! ah ! continuez donc... vous m’intéressez vivement...

ADOLPHE.

Et il ose porter sur lui un gage d’amour qui m’était destiné, Monsieur, ces bretelles...

TAILLEFER, désignant César.

Ces bretelles-là... ah ! ah !

ADOLPHE, de même.

Qui, je les reconnais... celles-là.

CÉSAR.

Mais je les ai reçues sur la tête par hasard...

ADOLPHE, à Taillefer.

Et vous croyez cela, vous ?

TAILLEFER.

Hum !

ADOLPHE.

C’est mon rival, Monsieur, je n’en doute plus, et il m’a supplanté près de celle que j’aime... c’est clair, ça...

TAILLEFER.

Parfaitement clair, jeune homme... C’est vous alors qui êtes l’amant de ma femme... Très bien... je vais vous couper la gorge !

ADOLPHE, abasourdi.

Hein !...

CÉSAR, à part.

Il s’est enferré... c’est lui qui la gobe... en plein...

TAILLEFER, à Adolphe.

Je suis le capitaine Taillefer...

ADOLPHE.

Le ca... pi... tai... ne... Tail... Taillefer.

CÉSAR, à Adolphe.

Quand vous aurez fini avec Monsieur, nous en découdrons tous deux, mon bon !

Bas, à Taillefer.

Soignez-le, capitaine, qu’il n’en revienne pas !

TAILLEFER, à Adolphe.

Voyons, êtes-vous prêt, jeune homme ?...

ADOLPHE, vivement.

Pas encore... un instant !... je ne sais vraiment ce que vous voulez me dire... Monsieur, et...

TAILLEFER, ironiquement.

Vraiment ?... Et cette lettre de ma femme, trouvée par moi ce matin... chez vous, dans ce pupitre, le vôtre...

Il le lui montre.

CÉSAR, gouaillant.

Dans ses meubles ; car vous êtes dans vos meubles, mon cher Frédéric.

ADOLPHE, vivement.

Quelle idée !

Haut.

Du tout ! vous vous trompez, je ne suis pas chez moi... je suis chez ma sœur.

TAILLEFER.

Mais, encore une fois, cette lettre ?...

ADOLPHE.

Lui était adressée. Voyez plutôt l’enveloppe.

Il court au pupitre, la prend et la lui montre. Herminie et Louise ont écouté la dernière partie de la scène précédente en entrebâillant la porte du cabinet, et sortent sur les derniers mots.

LOUISE, à Herminie.

Je vais tout arranger. Soyez tranquille, Madame.

TAILLEFER, lisant.

À Mlle Martin.

 

 

Scène XIV

 

ADOLPHE, CÉSAR, TAILLEFER, LOUISE, HERMINIE

 

LOUISE.

Elle-même.

TOUS.

Mademoiselle Martin !

LOUISE.

Air final de Renaudin de Caen.

Oui, mademoiselle Martin
Qui se trouve vraiment surprise
Que n’importe qui s’autorise
Chez elle à faire ainsi du train.

TAILLEFER.

Que veut dire ?

LOUISE, montrant Herminie.

Voici le fait :
De Madame je suis brodeuse,
Comme elle n’est pas oublieuse,
Pour votre fête elle venait
Chercher ces jarretières-là,

Les tirant de sa poche et les lui montrant.

De son amour, nouvelles preuves...

TAILLEFER, les prenant.

Ma fête !... en effet.

CÉSAR, les voyant, à part.

Dieu ! mes neuves,
Que Louise hier au soir me chipa.

TAILLEFER, se ravisant, allant à César.

Ces bretelles...

HERMINIE, vivement.

Étaient pour vous.
J’y brodais quand votre furie
De les finir m’ôta l’envie ;
Je les jetai... vilain jaloux.

TAILLEFER, se ravisant encore et désignant Adolphe.

Pourtant Monsieur reconnut...

HERMINIE.

Lui,
Il n’avait pas lu, j’en suis sûre,
Ces mots brodés sur la doublure,
Voyez plutôt...

Taillefer regarde les bretelles qui sont sur le dos de César.

À mon mari.

ADOLPHE, à part.

Lorsque j’aspirais à sa main,
Cette phrase pour moi fût mise ;
Mais cette conquête promise
Me passe devant l’aquilin.

TAILLEFER.

Ô ciel ! ai-je été bête ?...

CÉSAR, à Taillefer.

Ah ! oui,

À part.

Et tu l’es encore...

TAILLEFER.

Herminie,
Pardonne-moi, je t’en supplie,
Cet emportement inouï.

À César.

Mes bretelles...

CÉSAR, les ôte et les lui remet.

Voilà ! voilà !

HERMINIE, à son mari.

Il est juste que tu reprennes
Ton bien...

CÉSAR, à lui-même.

Parbleu ! je veux les miennes.

Bas, à Adolphe.

Mes bretelles...

ADOLPHE, les ôte et les lui remet.

Voilà ! voilà !

TAILLEFER, soudainement à César.

Mais vous, que faisiez-vous ici ?
Il me semble, Dieu me pardonne,
Que vous n’y connaissez personne...

LOUISE, passant vivement près de César.

Monsieur doit être mon mari.

CÉSAR, vexé, bas.

Dis donc, me prends-tu pour un sot ?

LOUISE, bas.

Consens, ou, rompant le silence,
Je te fais avoir une danse
En disant ici le fin mot.

CÉSAR, effrayé, puis prenant son parti, bas, à Louise.

Pourtant, je voudrais bien savoir
Tes farces à Villetaneuse.

LOUISE, bas, et avec conviction.

Je puis m’en laver...

CÉSAR, gaiement et avec malice.

Blanchisseuse,
Il te faudra du savon noir !

S’avançant vers le public.

Pour adoucir, en ce moment,
Vos sentences par fois cruelles,
De ces deux paires de bretelles,
Les auteurs vous font le présent !
Si ces petits tableaux de mœurs
Vous ont paru tant soit peu drôles,
Ne portez pas sur vos épaules,
Bretelles, pièce, auteurs, acteurs.

Reprise par tous des quatre derniers vers.

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